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Rien de vieux, tout est neuf.
ou : si je dois donner des nouvelles, quoi dire ?

Si on lit les dates, il s'est bien passé un peu plus de huit mois depuis la dernière page de ce journal. Certains vont dire : ça fait longtemps !
Je ne le sens pas ainsi parce que le temps ne passe pas à coup de dates et que je ne le mesure plus comme avant.
Je réalise, depuis un certain temps déjà, que seul mon présent existe et que je peux retourner comme je veux dans le passé et le modifier à souhait et que les chiffres habituels ne veulent plus dire grand-chose à mes yeux... Huit mois, quinze ans, trois siècles... Que mesure-t-on avec ces chiffres et ces mots, et en prenant quoi comme repère ou étalon de référence ?
À franchement parler, je ne sens plus beaucoup le temps, comme s'il m'échappait complètement et que ma vie était devenue maintenant quelque chose d'intemporel, ou plus exactement d'atemporel comme le définit Sartre que je n'aime pourtant pas : " La permanence (...) apparaîtra (...) comme le pur glissement d'instants-en-soi, petits néants... séparés les uns des autres et réunis par un rapport de simple extériorité, à la surface d'un être qui conserve une immuabilité atemporelle. " (Sartre, L'Être et le Néant, 1943, p.256)
Peut-être suis-je en train de verser vers l'immanence selon Eluard : "Tout ce que j'aime, tout ce que je pense et ressens, m'incline à une philosophie particulière de l'immanence d'après laquelle la surréalité serait contenue dans la réalité même (ne lui serait ni supérieure ni extérieure) ". (Éluard, Donner à voir,1939, p.122)

Mais revenons aux questions (que fais-tu, que deviens-tu, ou plus simplement et plus directement, qu'as-tu fais pendant tout ce temps ?) que certains de mes lecteurs fidèles ou amis m'ont bien sûr posées, de temps en temps (par téléphone, par mail ou par lettre même) et auxquelles il m'est de plus en plus difficile de répondre.
Spontanément je leur répondrais bien : " Rien " ou plus franchement : " Moi ? Je n'ai rien fait ! Mais le temps, lui s'en est chargé ! "

" Mais il s'est bien passé quelque chose, pendant tout ce temps-là ?
- Ben oui... des milliards de choses même ! Des canicules, des chutes de neige, des accidents ferroviaires, des records battus, des augmentations du prix du gaz, des émeutes, des assassinats, des guerres, des inondations, des catastrophes, des gens qui sont morts, des gens qui sont nés, des gens qui se révoltent...
- Oui, mais arrête de faire l'andouille, dans le monde oui, mais en ce qui te concerne toi, jcb ?
- D'abord je ne fais pas l'andouille, c'est vraiment ce que je pense. Tout cela m'est aussi arrivé, j'en ai vécu les photos, les informations, les films, les intoxications, les agressions, les réflexions provoquées, tout ce que j'ai dû entendre et voir et penser !
- Oui, mais ça c'est général, il a bien dû t'arriver, à toi, individuellement, personnellement, des faits qui ne concernent que toi !
- Ils n'ont pas grand intérêt, et faudrait-il encore que je m'en souvienne. J'en ai certainement déjà oublié la plupart, et puis ce qui était important quand c'est arrivé ne l'est peut-être plus aujourd'hui. Je l'ai dit, je pense qu'on intervient sans arrêt sur le passé en en parlant, et que seules comptent et restent les sensations du présent... Mais bon, pour faire plaisir, je peux choisir, sélectionner voire inventer deux ou trois choses factuelles et donner dans l'histoire évènementielle comme ils disent. Mais c'est juste pour répondre à votre question et vous faire plaisir... L'important étant, je le répète, les impressions ou sensations qu'il m'en reste aujourd'hui, à l'heure où j'écris.

Pour m'aider il faut que je regarde dans mes photos prises pendant ces huit mois (de moins en moins, je le précise), mes mails ou la correspondance écrite (qui se raréfie, sauf avec quelques amis comme Pierre Bergounioux) et parcourir mon agenda.
Entre ce moment et celui où je vais commencer le paragraphe suivant, il va donc s'écouler plusieurs heures voire plusieurs jours, ce qui fait que les dates indiquées au début sur cette page feront partie du passé quand je les mettrai en ligne.

Alors juste comme ça, un peu en vrac, et à titre indicatif, deux ou trois choses que je peux indiquer et qui se sont passées depuis novembre 2012, avec parfois quelques commentaires - d'aujourd'hui forcément :

Reprise de la peinture, fin novembre 2012, lentement, avec beaucoup de doutes et de questions sur mon rapport avec la peinture, pourquoi j'ai toujours eu cette tentation-là...
Ai travaillé depuis, une vingtaine de toiles, de formats variés. N'ai pas trouvé pour l'instant de ligne directrice d'ensemble. Ne sais pas si ce que je peins vaut quelque chose ou présente un quelconque intérêt. Je sais juste que cette activité et les heures qu'elle me prend m'aident à vivre, et que je ne les regrette jamais, quel que soit le résultat obtenu.
Aperçu de quelques-unes, de taille et de format différents, mais ramenées ici toutes à la même hauteur.

... ... ...
" J’ai toujours vécu le présent. Je vis dans le présent. Je n’avais jamais de préoccupations de carrière ou de vocation, de projections dans l’avenir. Ça me plaisait de peindre, je peignais, donc j’étais peintre. Lorsque les gens me demandent : comment faites-vous ?, je réponds : Je suis". (Léonor Fini)

Remarque : Je suis de plus en plus fatigué des images et il m'arrive de rester assis les yeux fermés pendant une dizaine de minutes. Ce flot torrentiel imprimé ou diffusé ou envahissant toutes les formes d'écrans à chaque instant et lieu de notre vie, me soûle et provoque en moi par moments une véritable nausée. Peut-être est-ce tout simplement que mes yeux commencent à fatiguer...
Je fais cette remarque pour indiquer une de mes préoccupations conscientes en peinture : ne pas faire une image, pire "une belle" image. Ce qui bien sûr complique ma tâche et la rend difficile voire impossible aujourd'hui.
Je pense que la peinture n'est pas là pour faire ce qu'on peut très bien réaliser avec d'autres techniques plus adaptées (photos, dessins, graphisme...), ce que Francis Bacon a souligné maintes fois.
Face à cette saturation d'images, on comprend pourquoi il est difficile de peindre sans penser que la peinture " est finie ".

J'écoute de plus en plus la radio (France Culture) et de la musique instrumentale (tous les genres ou styles). Je supporte de moins en moins les chansons aux paroles insipides ou débiles comme on sait si bien nous en abreuver. Il m'arrive d'enregistrer ou de podcaster certains concerts ou interviews parce qu'ils m'ont touché lors de leur première audition.
Ai découvert par hasard ou par le bouche à oreille entre amis, beaucoup de musiques qui me stimulent. Je reste à l'affut de sonorités ou d'ambiances musicales inconnues de moi, ce qui n'empêche pas que je revienne souvent à mes vieux classiques, les musiques (groupes, interprètes, musiciens etc) de ma jeunesse. On pourraît dire qu'il y a là un côté nostalgique et rassurant mais je pense plutôt que cela confirme mon idée d'un temps immobile et insaisissable...
N'empêche que c'est encore un de mes grands plaisirs aujourd'hui d'entendre ou d'écouter quelque chose de nouveau et que je ne connaissais pas auparavant.
Il me semble aussi que je me concentre plus sur ce que j'écoute aujourd'hui. Il faut dire que j'en prends le temps, chose que je ne faisais pas avant. Il m'arrive aujourd'hui d'arrêter toute activité (même la lecture) et de rester uniquement à écouter un morceau ou une oeuvre ou un disque en entier, assis ou allongé sur le canapé et les yeux fermés.
C'est nouveau pour moi : être capable de faire une seule chose à la fois, et de prendre le temps d'expérimenter quelque chose qui ne dit rien et ne passe pas par les mots. (Car je suis du côté de Jankélevitch qui insiste dans toute son oeuvre (entre autre dans La Musique et l'ineffable) que la musique ne dit rien et qu' "il est impossible de la réduire à un discours dont on pourrait transposer le sens dans l'ordre du langage" ...)
La musique n'existe qu'au moment où on l'écoute et c'est une expérience renouvelée à chaque fois qu'on l'entend. Quand on en parle, il ne s'agit plus de musique mais d'un discours sur la musique.

J'ai voyagé un peu, mais beaucoup moins qu'avant, et à chaque fois moins longtemps. Il y a là parfois certes des raisons purement économiques, mais il est vrai qu'aujourd'hui aussitôt parti j'ai aussi envie de rentrer et revenir chez moi assez vite, disons au bout de trois ou quatre jours. A noter que ces "déplacements" ont à chaque fois un but ou un objectif précis : voir ou visiter un endroit, une ville, un musée, une oeuvre, rencontrer une personne, un ou des amis précis... Fini " aller voir ailleurs " si j'y suis, fini "traîner" pour passer le temps ou pratiquer je ne sais quelle "distraction" ou errance... Je réagis et agis plus aujourd'hui en fonction des quelques envies ou désir(s) ou projets précis qui font que je suis et me sens encore vivant.
J'ai accepté le fait que je ne pourrai jamais tout voir, tout lire, tout écouter, tout faire... et cela ne me dérange plus du tout. Bien au contraire !

Amsterdam, début janvier 2013.
Musées habituels, (Stedelick museum, avec rétrospective Mike Kelley, Rijks museum, pas encore fini d'être restauré, et surtout encore une fois, Einstein on the beach de Philip Glass...
Plaisir d'y être avec des amis (Pascale, Fredéric et Valérie...) pour leur faire découvrir cette ville que j'aime particulièrement depuis 1967...


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Versailles, mars 2013.
Salon du livre, pour retrouver mon ami Philip McLaren qui vient de sortir un nouveau livre, et rencontrer cette formidable jeune femme qu'est Ingrid Astier (dont j'ai aimé les deux derniers livres, Quai des enfers et Angle mort chez Gallimard) et qui je ne le savais pas se connaissent bien car se sont rencontrés auparavant dans le Pacifique à je ne sais quels salon ou occasion...
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Chambord, fin mars 2013.
Visite à Pierre Bergounioux, lors d'une lecture de son dernier ouvrage. C'est comme à chaque fois, comme si on s'était séparé la veille. Il faut dire que notre correspondance écrite et postale à l'ancienne ne s'est jamais arrêtée.
Je m'aperçois lors de sa séance de dédicaces que c'est un grand bavard avec ses lecteurs et qu'il passe avec eux un long moment, au grand désespoir de ceux qui attendent dans la file.
On a encore beaucoup fumé, dans la cour.

Chinon,début avril 2013.
Visite à Christian et Muriel Dufourquet à l'occasion du passage à Chambord.
Profite de cette visite pour faire quelques photos des derniers tableaux de Muriel ainsi que des extraits qui me plaisent, comme celui reproduit ci-contre.
D'après ce qu'il me dit, lui n'écrit plus ou pas beaucoup.
Peut-être ne voudra-t-il plus publier ailleurs que chez Maurice Nadeau dont la mort va sans doute l'affecter profondément.

Voyage en Bretagne, mi-avril 2013.
Visite à Anne Guillou dans son centre culturel de Luzec, près de Saint-Thégonnec.
Longs échanges sur ce qu'est notre vie aujourd'hui nos activités et ce que nous sommes devenus. Elle continue d'écrire ses livres, dont j'avais bien aimé le dernier Dommage de guerre, qu'elle me dédicace pour plusieurs amis. Belle balade à Roscoff et dans les Monts d'Arrée.
Passage en coup de vent chez Pascal Gonthier à Kernouës, en attente qu'on construise sa maison.

Ouessant, avril 2013.
Visite à Anne Bihan en résidence dans le sémaphore de l'île.
Un rêve pour moi que je réalise enfin, vivre en hauteur, au dessus de la mer...
Depuis la lecture de Armen de Jean-Pierre Abraham et tout le travail de recherche que j'avais fait sur Armen, phare pour moi emblématique, je rêvais de cette expérience. Séjour important donc et je ne remercierai jamais assez Anne de m'avoir invité, ce qui était une grande faveur de sa part.

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Paris, place Saint-Sulpice, 8 juin 201.

Marché de la poèsie.
Occasion de retrouver Christian et Muriel Richard-Dufourquet (qui sort dans la collection Zakhor, qu'elle dirige aux éditions L'Arachnoïde, deux nouveaux ouvrages : The bravest boat de Malcom Lowry et En bas de Leonora Carrington), Jean-Christophe Cochard et Anne Bihan.
Charlotte qui m'accompagne, s'ennuie un peu.

Illiers-Combray, fin juin 2013.
Nouvelle rencontre de François Bon, dans une pizzeria puis dans la maison de tante Léonie, sans guide et à notre allure... très agréable et heureux de le revoir dans des conditions calmes et bonnes pour discuter hors du regard des autres ou d'Internet, sans lecteurs ni spectateurs (sauf Sandrine qui a fait les photos) !

Saint-Amand Montrond, 14 juillet 2013.
Fête chez mes amis Milvoy, pour "arroser" le bac de Léa et de Avril, avec la présence rare du photographe Fred Atlan et sa fille, et Pascale.
Récital d'Avril qui chante remarquablement les chansons qu'elle compose.

Peu de déplacements et de photos donc par rapport à d'autres époques, et cela me convient. Je m'aperçois que je change et que beaucoup de choses "d'avant" ne me manquent plus tout simplement parce qu'elles ne m'intéressent plus. Par contre, peut-être que je vis maintenant plus calmement (sans doute parce que j'accepte et reconnais enfin beaucoup d'erreurs, d'illusions et d'idées fausses me concernant précisément et mon rapport au monde et les autres...). Peut-être aussi suis-je en train de prendre de la distance par rapport aux grands thèmes de ma vie (l'amour, l'art (surtout la peinture et l'écriture), le sexe etc), non pas en les reniant mais en les interprétant ou les envisageant tout à fait différemment.
Les problèmes et les questions que je me pose aujourd'hui ne sont plus les mêmes et ne trouvent plus les mêmes réponses qu'avant. Vieillir change de nombreux points de vue !

Je passe volontairement sur les voyages non voulus mais obligatoires, et faits sans déplaisir d'ailleurs, les uns après les autres, à des dates que je n'ai pas choisies moi-même :
Clamart hôpital Béclère centre de Cardiologie, Nogent-le-Rotrou doppler et holter, plus trois jours aux urgences, Chartres IRM, Nanterre inscription administrative de Léa pour l'année 2013-2014, dossier pour sa chambre universitaire de... Verneuil-sur-Avre voir ma mère... Rien à en dire spécialement, il faut le faire, je le fais, sans en penser grand chose d'intéressant ni me poser de problèmes, même si parfois mon inertie face à l'administration me demande un certain effort.



Je m'aperçois que je n'aurai pas le temps de faire en une fois la page annoncée et commencée il y a bientôt quinze jours, car je dois me préparer à partir comme chaque année une semaine à Ouessant pour le 15ème Salon du livre insulaire, avec Léa et Charlotte, et mes amis Milvoy (tellement enchantés l'année dernière qu'ils ont tenu à revenir cette année).
Je vais donc mettre en ligne maintenant avant de partir cette page inachevée mais je la finirai en rentrant (après le 21 août) car je n'ai pas dit encore il me semble le plus important d'aujourd'hui.

Rendez-vous donc vers la fin du mois pour dire le reste : mes lectures importantes (on pourrait dire en effet que ces derniers mois j'ai " repris " la lecture) et le grand projet qui m'anime et me tente, de ma " reprise " de l'écriture (aussi), de mes cultures sauvages de roses trémières particulièrement réussies cette année etc.
Ma maison est à vendre depuis plus d'un an mais personne ne la visite. Je ne sais donc toujours pas où j'irai après.